En effet, un nouvel usage émerge avec l’introduction d’une demande de mécénat à l’occasion de l’attribution de marchés publics. Dès lors, les entreprises concourant à l’obtention d’un marché doivent, non seulement renseigner sur les critères traditionnels (la qualité, la valeur technique, le prix, le délai d’intervention etc.) mais également sur la part des travaux qu’elle consent à réaliser dans le cadre du mécénat, donc à titre gratuit. Or, le droit des marchés publics est strictement régi par le Code avec notamment pour principes l’interdiction d’une offre anormalement basse et l’égalité de traitement des candidats. De plus, introduire le mécénat comme l’un des critères de sélection, qui n’est pas expressément prévu par la loi, interroge la légalité d’un tel critère dans ce processus. En effet, les dispositifs fiscaux du mécénat s’inscrivent davantage au profit des grandes entreprises et dans une moindre mesure des PME (en sachant que la législation des marchés public s’inscrit pourtant en faveur de ces dernières).
De plus, dans le cadre des établissements culturels, on peut se demander comment maintenir l’équité et la moralité quand une entreprise, déjà mécène de l’institution par le biais d’un mécénat de compétence, candidate à l’obtention d’un marché public. Autre interrogation : l’entreprise elle seule définit le montant de sa prestation par la remise d’une déclaration de valeur des travaux effectués et donc le coût de son mécénat de compétence. De ce fait, la déduction fiscale est laissée à l’appréciation de l’entreprise, sur la base de ses coût de revient, puisque celle-ci correspond à 60% du don effectuée.
Pour tenter de pallier ce flou juridique des plus étonnants, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation s’est penchée sur la question en remettant un rapport d’information en 2012 pour répondre à ce curieux dilemme : autorégulation ou encadrement par l’agrément fiscal ? La commission propose dès lors « de subordonner l’acceptation du mécénat (…) à un agrément délivré par l’administration fiscale. Cette solution présente l’avantage de faire intervenir un tiers neutre dans le tête-à-tête entre le mécène et son bénéficiaire, d’apporter des garanties de transparence sur les modalités selon lesquelles ce partenariat va se nouer et d’éviter des contentieux et des contestations ultérieures ».
La question de l’éthique et de la moralité du mécénat et des marchés publics est désormais un des grands enjeux d’une pratique qui ne cesse de se développer. Si certains musées tels Le Louvre ou encore le Quai Branly, conscients de la frontière poreuse entre bonnes pratiques et abus, ont adopté des chartes éthiques, les règles demeurent vagues et indécises.
Or, parce que nébuleuse juridique il y a, le mécénat pourrait bien être l’otage d’une législation propre aux marchés publics. Mais l’inverse est tout aussi probable.