Le souci de l’intérêt général fait son chemin au sein des PME, seules ou à plusieurs.
Le mécénat des entreprises en France est un phénomène récent qui trouve son impulsion à la charnière des décennies 1970 et 1980 en s’inspirant de la philanthropie américaine. Il se développe depuis, au fil des périodes économiques plus ou moins moroses. Une entreprise peut s’impliquer dans des projets ou en faveur de causes, à travers des dons ou par des prêts de compétences, dans différents domaines tels que la santé, la culture ou le social, mais exclusivement vers des associations reconnues d’intérêt général. La loi Tepa de 2003 et son abattement fiscal important ont fait beaucoup pour attirer les entreprises, grands groupes tout comme PME, plus limitées en fonds mais bien plus nombreuses. Celles-ci sont donc des actrices à part entière du mécénat.
Un article de Benjamin Pruniaux publié le 30 avril 2014 sur le site le nouvel économiste.fr
L’engagement dans le mécénat est aujourd’hui majoritairement entré dans la logique de l’activité des entreprises. Sans pour autant verser dans l’angélisme, le mécénat répond pour elles à un fort désir de contribuer à l’intérêt général, plutôt qu’au seul intérêt fiscal ou d’image. “Il y a eu une prise de conscience des problématiques sociétales avec l’idée profonde d’agir en faveur de l’intérêt général, de servir la société avec de l’argent ou des compétences”, affirme François Debiesse, vice-président d’Admical, association qui diffuse la pratique du mécénat auprès des entreprises et qui représente les mécènes face aux pouvoirs publics.
“Il existe certes une règle qui veut que le bénéficiaire offre à son donateur une contrepartie – qui doit être inférieure à 25 % du don. Mais la démarche des entreprises est majoritairement désintéressée.” Des contreparties qui peuvent, par exemple, prendre la forme d’entrées gratuites dans un musée si l’entreprise a participé à la rénovation d’une œuvre d’art. Selon un sondage dirigé par Admical en 2011 sur les budgets mécénat des entreprises et leur répartition, trois quarts d’entre elles déclaraient ne pas donner d’importance aux contreparties dont elles pouvaient bénéficier en soutenant un projet, et même 73 % des grandes entreprises expliquaient n’utiliser que partiellement ou pas du tout ces contreparties.
Une législation très incitative
Quid dans ce cas des avantages fiscaux auxquels donne droit le mécénat ? Est-ce tout de même la raison qui pousse les entreprises et les entrepreneurs à se lancer dans l’aventure philanthropique ? Cette carotte, plutôt motivante, consiste en une réduction d’impôt de 60 % du montant du don effectué en numéraire, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. “Il y a eu un lobbying important à l’époque pour faire admettre les avantages fiscaux, ce qui donnera plus tard la loi Tepa du 1er août 2003, explique François Debiesse. L’avantage fiscal de 60 % en France est l’un des plus favorables du monde pour le mécénat, si ce n’est le plus favorable.”
Un levier essentiel, mais qui est pourtant utilisé par seulement deux tiers des entreprises mécènes, selon l’étude 2011 d’Admical. Ces 60 % seraient alors un incitateur pour elles, non pas pour économiser mais pour donner davantage encore. “La déductibilité d’impôt est essentielle, insiste Pascale Humbert, responsable mécénat et grands donateurs de la Fondation Visio, qui aide les malvoyants à gagner en autonomie grâce notamment au développement d’une canne blanche électronique. Ce n’est pas ce que les patrons recherchent, mais c’est formidable de se dire qu’une partie est déduite des impôts. Ils ne le demandent pas toujours et ne sont d’ailleurs pas forcément au courant de cette déduction, surtout dans les PME. Mais ce n’est pas pour eux la raison de la participation.” La participation des entreprises est également une forme de communication à double cible. “La valeur ajoutée en termes d’image est évidente, en externe, mais aussi en interne, analyse-t-on chez Admical. Cette démarche s’accorde en effet parfaitement aux préoccupations des collaborateurs.”
Un outil d’implication en interne
“Le mécénat valorise bien sûr l’image de l’entreprise, mais pour les collaborateurs c’est une chose importante, et aussi une certaine fierté de participer à des actions en faveur de l’intérêt général”, poursuit Jean-Jacques Goron, délégué général de la Fondation BNP Paribas. De plus en plus, ce genre d’actions constitue un véritable bonus pour les collaborateurs qui éprouvent le besoin, dans le cadre de leur emploi, de sortir du commerce ou de leur activité de base. Ce besoin se retrouverait davantage dans les nouvelles générations et a été accentué depuis 2007, la crise ayant aiguisé l’idée selon laquelle l’entreprise avait plus que jamais un rôle à jouer dans son environnement. “Auparavant, l’école, l’armée, les syndicats ou les partis politiques étaient des piliers de la société, mais tous ont périclité pour différentes raisons. L’entreprise reste désormais un lieu de structuration fondamentale”, analyse François Debiesse. La réflexion est peu ou prou la même chez BNP Paribas : “l’idée est aussi de faire découvrir aux collaborateurs le travail de la fondation et de les sensibiliser à nos activités”.
La crise n’a pas eu qu’un impact positif sur le mécénat. Les chiffres de 2014 n’ont pas été très bons. Ainsi, 21 % des entreprises ont fait du mécénat l’année passée, contre 32 % en 2012. Malgré tout, le montant des dons est pratiquement resté stable avec 1,8 milliard en 2014 contre 1,9 milliard en 2012. A noter un changement de calcul statistique : dorénavant, sont relevés les dons des entreprises de plus d’un salarié, alors que seules les entreprises de plus de 20 l’étaient en 2012. Mais surtout, dans des périodes où les entreprises se serrent la ceinture, la question du mécénat est rapidement mise sur la table. “Au niveau des PME, il y a parfois un travail pédagogique à faire, témoigne Pascale Humbert. Certains collaborateurs ne sont pas toujours très favorables au mécénat surtout dans des périodes délicates où l’on licencie, où l’on refuse des augmentations. Mais si l’entreprise le souhaite, nous pouvons intervenir pour communiquer, expliquer, informer et en général cela se passe très bien.”
Un plafond bien bas pour les PME
Les entreprises du CAC 40 et les PME/TPE n’ont bien sûr par les mêmes stratégies de mécénat. Aux yeux de la loi, il est interdit de consacrer aux dons plus de 0,5 % de son chiffre d’affaires chaque année. Un montant que les grands groupes n’atteignent jamais malgré de fortes sommes débloquées, contrairement aux PME/TPE qui peuvent arriver très rapidement aux 0,5 % pour des montants parfois très minces. “Les PME ont des moyens financiers et humains moins importants. Chez Admical, nous nous battons pour qu’il y ait un autre plafond pour les petites et moyennes entreprises”, annonce François Debiesse, sous forme, par exemple, d’une franchise de 10 000 euros pour l’ensemble des dons avec, au-delà de cette somme, l’application des 0,5 %.
Les grandes entreprises mécènes ont surtout les moyens financiers pour créer leur propre fondation, comme c’est le cas pour la banque BNP Paribas, qui peut alors mener sa propre politique. “Nous avons une volonté pluridisciplinaire forte que les deux groupes, BNP d’un côté et Paribas de l’autre, avaient eux-mêmes chacun de leur côté avant la fusion en 2000. C’est un programme tripartite qui comprend la culture, la solidarité et la recherche”, expose Jean-Jacques Goron. Pour des fondations de cette importance, des appels à projets sont lancés chaque année et des comités sont chargés de les étudier et d’établir une sélection. Cela comprend aussi bien des rénovations d’œuvres d’art que des projets sociaux dans les banlieues défavorisées, ou encore des projets environnementaux visant à mieux appréhender les changements climatiques. “Nous recevons environ 4 000 demandes par an, annonce-t-il. Nous essayons de répondre à la crise avec nos armes en renforçant notre action dans le champ de la solidarité.”
Avec une autre échelle de ressources, les PME fonctionnent différemment car elles ne peuvent soutenir que deux projets par an, quand en moyenne les grandes entreprises en soutiennent de 10 à 50 pour, à chaque fois, un don dépassant les 10 000 euros. Les plus petites plafonnent elles entre 1 000 et 5 000 euros. D’après l’Admical, ces dernières se rapprochent d’ailleurs plus souvent des 0,5 % du chiffre d’affaires que les grandes entreprises. De là à affirmer qu’elles sont plus généreuses que les grands groupes ? C’est une possible lecture de la situation, quoiqu’un peu simpliste.
“Dans les grands groupes, il ne faut pas se leurrer, le mécénat entre dans le cadre d’une stratégie de communication. Mais s’il y a des bonnes choses de faites, c’est le plus important, tranche Stéphane Martinez, PDG de Marty Sports SA dans les Pays de la Loire. Les PME n’ont pas ces stratégies mais ont malgré tout des envies d’investir.” Ancrées localement pour la plupart, les PME ne peuvent penser leur plan autrement qu’en termes de proximité. “C’est un grand plaisir de travailler avec des PME dans un ancrage régional, cela dynamise le tissu local, témoigne Pascale Humbert, qui a volontairement installé sa fondation Visio en région. Nous essayons d’aller vers celles qui nous parlent vraiment. Il ne s’agit pas de seulement prendre un chèque, nous voulons monter quelque chose de durable avec elles.”
Clubs de mécènes, l’impact démultiplié
Mais avec des moyens parfois réduits à la portion congrue, comment les PME peuvent-elles apporter leur écot à leur environnement direct et de manière substantielle ? En participant à des clubs de mécènes, des fondations regroupant plusieurs PME qui vont agir ensemble sur des projets afin d’augmenter leur impact. “Regrouper des entreprises, c’est très intéressant car le mécénat étant limité à 0,5 % du chiffre d’affaires, pour une PME, ça peut se limiter à une toute petite somme. Seul, je ne pouvais pas faire grand-chose”, confirme Stéphane Martinez, également président de la fondation Mécène et Loire, un conglomérat de 28 PME qui soutient des projets dans le département du Maine-et-Loire. Avec un regroupement en 2007 de 24 entreprises, ce club de mécènes avait pu réunir 160 000 euros dès sa première année, et culmine maintenant à 200 000 euros par an sur 5 ans, durée de vie légale maximum d’une fondation. “Paradoxalement, les entreprises qui avaient le plus d’hésitations à nous suivre étaient les plus grandes, car c’était une démarche plus difficile à expliquer à des comités d’entreprise, alors que les plus petites prenaient plus de risques”, se souvient-il.
Un succès qui aujourd’hui ne se dément pas dans la région où le label “Mécène et Loire” est devenu un signal fort. Ses appels à projets attirent une petite centaine de dossiers chaque année qui sont étudiés par des binômes de chefs d’entreprise du club chargés de sélectionner leurs coups de cœur et convaincre les autres membres. Ceux qui sont choisis reçoivent alors des soutiens allant de 2 500 à 20 000 euros. Ce concept de club fait aujourd’hui des petits et se développe un peu partout dans l’Hexagone. L’époque où chacun faisait du mécénat dans son coin est révolue. Même dans les PME, ce n’est plus l’affaire exclusive du patron et toute l’entreprise y est maintenant associée. “La sensibilité au monde change, remarque Jean-Jacques Goron. En ce moment, il y a une pression plus forte du fait qu’il y ait moins d’argent public disponible. Bien sûr, les mécènes ne peuvent pas tout faire, ni jouer le rôle des institutions, mais le mécénat est une force qui permet de booster, d’initier des projets.”
Le mécénat en France est encadré légalement mais selon les professionnels, il manquait quelque chose pour finaliser et encadrer au mieux les engagements des mécènes. C’est pourquoi une charte du mécénat a été pensée par et pour ses principaux acteurs. Elle a été rédigée par Admical, établissant alors une définition précise du mécénat qui bénéficiait pour la première fois d’un texte de référence. Celui-ci aborde principalement le volet éthique de l’activité et est utilisé comme référent sur les conventions pour expliciter le mécénat aux parties concernées, lui donnant une valeur responsable et protégeant le cadre fiscal visant à l’encourager. “Elle permet d’apporter de la déontologie sur, notamment, l’origine des fonds, et l’interaction entre le mécène et les bénéficiaires, avec entre autres la question de la contrepartie, explique François Debiesse, vice-président d’Admical. L’idée est de ne pas renouer avec des problèmes comme lors du scandale de l’Arc au début des années 1990.”En signant la charte, les signataires s’engagent et sécurisent les échanges tout en rassurant les différents partenaires. “La charte permet aussi de lutter contre l’ingérence, avertit François Debiesse. Ce n’est pas parce qu’on a fait des dons que l’on peut se mêler des affaires de la fondation, c’est une relation de confiance où chacun peut s’exprimer, mais avec des limites.”
Enfin, la charte peut aussi combattre le phénomène du greenwashing ou “blanchiment vert”, expression visant certaines entreprises qui l’utilisent pour redorer une image écornée, en participant à des événements de communication ou en faisant des donations à certaines fondations. Cette pratique peut parfois donner une mauvaise presse à certains dons. “Le mécénat a besoin d’une éthique irréprochable, d’où le développement rapide du conseil en philanthropie notamment”, conclut le vice-président d’Admical.
En 2014, 159 000 entreprises ont fait du mécénat en France pour un budget de 2,8 Mde dont 1,8 Mde pour les entreprises de 20 salariés en plus.
73 % des chefs d’entreprise et cadres dirigeants sont mécènes à titre personnel.
Les grandes entreprises représentent 2 % des entreprises donatrices en 2014 pour une part de 56 % des dons. Les PME représentent 19 % des 159 000 entreprises, pour une part de 19 % du total des dons.Sources : Admical – CSA 2014 et Admical-TNS Sofres 2014