A l’heure où les intermittents s’interrogent à juste titre sur leur avenir, où les gouvernements (de droite comme de gauche), étranglés par le poids de la dette, cherchent à se désengager du financement de la culture, il est temps de renforcer, en France et en Europe, le mécénat privé. Pour ce faire, un double impératif: un engagement structurant et de long-terme de la part du secteur privé, mais aussi une évolution indispensable des mentalités.
Un article de Christophe Mazurier, (Président Directeur Général de la Banque privée genevoise Pasche) paru dans le Huffingtonpost ce 30 juin 2014
Trop souvent, le mécénat privé est encore considéré comme un gros-mot dans les milieux culturels et artistiques français, forts de l’acquis historique qu’a représenté et que représente encore le financement public de la culture depuis Louis XIV jusqu’à André Malraux. Pourtant, qu’on le veuille ou non, les paradigmes de cet investissement de l’Etat sont en train de vaciller.
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Le financement public de la culture montre chaque jour un peu plus ses limites en France, mais aussi un peu partout en Europe. Il est enfin temps que l’on réfléchisse sur le concept de mécénat privé de manière dépassionnée, pour avancer, pour finalement sortir des clichés et positions de principe.
Ne pourrait-on pas faire en Europe continentale également le pari gagnant-gagnant d’un modèle de financement s’appuyant sur le privé, et qui a fait ses preuves ailleurs, notamment outre atlantique? Même si le modèle ultra-libéral américain n’est pas la panacée, les sommes allouées par le secteur privé à la Culture sont sans commune mesure avec ce qui se passe sur le Vieux Continent.
Un appel aux entreprises pour qu’elles s’engagent à prendre -partiellement- le relais en ces temps de déficit budgétaire et de crise de la dette, aurait en outre l’effet collatéral de conférer aux activités culturelles plus d’indépendance par rapport aux pouvoirs publics (y compris en France, où l’art a longtemps été avant tout une affaire d’État).
Le mot « mécénat » nous vient de la Rome antique et du protecteur des arts et des lettres Caius Cilnius Mæcenas. Et certes tout le monde n’est pas Laurent le Magnifique ou François Ier, mais on n’en constate pas moins une montée en puissance du mécénat privé en Europe qu’il ne faudrait pas briser à coups de préjugés. Au cœur du mécénat se développe de plus en plus le mécénat d’entreprise, définit par le Ministère de la Culture comme « le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ».
Sortir des lieux communs négatifs autour du mécénat est une chose
Pousser les entreprises à investir pour la Culture en est une autre. Et si ce type de partenariat repose souvent essentiellement sur une inclinaison artistique du dirigeant de l’entreprise mécène, il est important de faire comprendre que le mécénat peut être aussi un choix rationnel d’entrepreneur.
Il contribue tout d’abord grandement à forger et à renforcer l’identité de l’entreprise en question. Par ailleurs, la logique fiscale est également importante grâce à la déductibilité totale ou partielle des montants engagés: en France par exemple, la loi Aillagon de 2003 permet 60% de déductibilité fiscale des dons effectués (plafonné à 0,5% du chiffre d’affaires, mais l’excédent éventuel peut être reporté sur les cinq exercices fiscaux suivants), voire de 90% dans le cas d’une aide à l’acquisition d’un « trésor national ».
Si on prend garde à ne pas confondre mécénat et sponsoring, les retours positifs sont certains, et d’ailleurs pas limités aux grandes entreprises : ainsi 32% des entreprises de 20 à 99 salariés s’engagent dans le mécénat, souvent dit « de proximité » car privilégiant des impacts locaux pour une plus grande lisibilité.
Si en outre l’entreprise mécène et le projet soutenu sont d’un certain standing, le bénéfice en termes d’image et de reconnaissance n’en est que plus grand. On pense par exemple à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, ou à la Fondation d’entreprise Hermès, pour n’en citer que quelques-uns. Pour ce qui me concerne, j’ai également essayé, à ma mesure, plus modeste, de répondre à l’appel de la romancière italienne Donna Leon pour la sauvegarde du Centre de musique baroque de Venise, aux côtés d’autres amoureux des arts lyriques (notamment Jean-Paul Herteman, Cécilia Bartoli ou Philippe Sollers).
On peut encore citer l’action de Vinci pour la galerie des glaces à Versailles, ou celle de Breguet pour le petit Trianon. Bref, les exemples ne manquent pas, et on ne peut qu’espérer que d’autres entreprises puissent franchir le pas. Car si « la culture, ça fait partie de la République et le rôle du chef de l’Etat, c’est de défendre toujours et encore la culture », comme l’a réaffirmé François Hollande le 21 juin en persistant dans une tradition très régalienne, il convient néanmoins d’être réaliste et d’admettre qu’à notre époque d’austérité le secteur privé peut et doit être mis à contribution.