« Par essence, le mécénat d’entreprise exclut l’abus de biens sociaux ! »

FidalbloglogoLu pour vous sur le blog de Fidal, un libre propos de Stéphane Couchoux :
« Par essence le mécénat d’entreprise exclut l’abus de bien sociaux ! »

Parler d’abus de biens sociaux (ABS) potentiel voire « rampant » en matière de mécénat d’entreprise, c’est un peu comme préférer aux authentiques films de genre bien effrayants (comme ceux du maître Georges Romero !) les pâles teen movies du type Scary Movie ou Twilight tout juste interdit au moins de 12 ans : il s’agit de se faire peur mais pas trop quand même, car on y croit pas réellement … 

Un vrai-faux scoop : un arrêt de la Cour de Cassation  a récemment rappelé, dans un cas d’espèce et sur la base d’attendus au demeurant très contestables, que le mécénat perd sa qualification et peut aboutir un ABS qu’en cas de « déviance » du dirigeant. Autrement dit, un mécénat d’entreprise qui demeure par hypothèse ancré dans une finalité d’intérêt général le place bien à l’abri du délit d’ABS. Il s’agit donc d’une exception et non d’un principe… Voilà, c’est tout.

Alors dans ce cas, pourquoi revenir sur le sujet ? Tout simplement parce que le vrai débat (combat ?) du mécénat d’entreprise vaut bien mieux que d’étudier son lien avec un hypothétique ABS comme on le voit encore trop souvent. Nous y reviendrons prochainement mais en substance il s’agit dans le contexte actuel, non de faire peur mais de donner envie aux entreprises de s’impliquer à une autre échelle pour les sujets sociétaux.

Question d’intérêts : « intérêt général » (mécénat), « intérêt social » (entreprise) ou « intérêt personnel » (ABS) ? 

Le mécénat d’entreprise vise à soutenir à titre gratuit un projet d’intérêt général, souvent porté par une fondation, un fonds de dotation ou une association. De ce principe peut découler un double malentendu aux plan juridique et fiscal. Mais ce malentendu ne saurait toutefois justifier un quelconque terrain favorable au délit d’ABS. Précisions :

  • Le cadre juridique

Le mécénat est souvent mal compris par les entreprises faute de définition légale consacrée par le Code de Commerce. Pour une définition du mécénat, il convient de se reporter à celle donnée par la Commission « Toubon » de terminologie économique et financière pour mieux opposer cette définition à celle retenue pour le sponsoring (parrainage). Selon cette Commission, le mécénat est un « soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général » [1].

Le délit d’abus de bien sociaux est quant à lui défini par le législateur [2] comme le fait pour les dirigeants de sociétés commerciales « de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

Au plan juridique, l’élément clé qui mettra le mécénat à l’abri du risque de qualification d’ABS sera, non l’absence de contrepartie (cet élément étant surtout à portée fiscale et encore…) mais l’absence de recherche d’intérêt personnel du dirigeant (ou de ses proches). Or, telle est la vocation intrinsèque du mécénat de servir l’intérêt général et non des intérêts personnels quand bien même une opération de mécénat ne s’inscrit pas « immédiatement » dans l’intérêt de l’entreprise.

Ce dernier point sur l’absence d’intérêt social propre à une opération de mécénat est d’ailleurs fort contestable : le mécénat d’entreprise ne doit pas se cantonner à un acte philanthropique à l’anglo-saxonne déconnecté de l’intérêt de l’entreprise. Osons le dire, un mécénat stratégique servira tout autant l’intérêt général (finalité principale du mécénat) que celui de l’entreprise (recherche de bénéfices secondaires) au regard par exemple de sa stratégie de communication institutionnelle, de marque, de sa politique de développement durable, RSE ou RH. Bref, nous sommes très loin de l’intérêt personnel du dirigeants, contraire à celui de l’entreprise susceptible de constituer un ABS…

  • Le cadre fiscal 

L’entreprise est tenue d’engager des dépenses nécessaires à son exploitation si elle veut les déduire de son résultat imposable.

Ainsi le législateur fiscal considère-t-il depuis les années 80 que le mécénat est par nature une dépense contraire à l’intérêt de l’entreprise et, partant, constitutif d’un acte anormal de gestion, non déductible [3]. Mais l’entreprise mécène y trouve largement son compte car elle bénéficie corrélativement (depuis 2003) d’une forte réduction de son imposition sur les bénéfices à hauteur de 60% du versement dans la limite de 0,5% de son CA HT annuel, un plafond de versement hélas trop faible pour les TPE/PME… Louons au passage la schizophrénie du législateur et le réalisme du droit fiscal qui n’hésitent pas à encourager, forte incitation fiscale à l’appui, la pratique d’un acte anormal de gestion pour le bien commun !

L’existence de contreparties en matière fiscale permet par ailleurs à l’entreprise de prouver l’intérêt économique ou stratégique à recourir au mécénat :

–          lequel est, rappelons-, une véritable technique de communication de l’entreprise, inscrite comme telle depuis une quinzaine d’années dans le Code général des impôts[4],

–          sachant qu’une tolérance permet à l’entreprise de « négocier » des contreparties tangibles et économiques auprès de l’organisme soutenu dans la limite de 25% du don.

En matière fiscale, la gratuité du mécénat d’entreprise est donc somme toute relative.

Cette recherche de contreparties limitée est non seulement salutaire pour le développement d’un mécénat d’entreprise pertinent et pérenne en France mais elle permet, ce faisant, d’écarter le risque théorique (fantasmé ?) d’ABS. Il convient de ne pas oublier que l’avantage fiscal en matière de mécénat suppose que l’opération bénéficie réellement à l’intérêt général et non aux dirigeants de l’entreprise, leur famille, leurs amis ou plus généralement à un « cercle restreint de personnes ».… 

Et si on recentrait la question du mécénat d’entreprise ? 

Parler d’ABS comme s’il s’agissait d’un risque consubstantiel au mécénat d’entreprise est une fausse piste, une erreur en droit et surtout une pratique mortifère digne des « zombies du mécénat » dans un mauvais film de genre.

Le mécénat d’entreprise peut au contraire se concevoir comme un être vivant ; il doit être (re)pensé dans une logique positive, dynamique et réaliste pour répondre aux énormes enjeux sociétaux actuels et futurs.

Il serait à cet égard opportun de revoir la définition même de la « société » donnée par le Code civil [5] (et non le Code de commerce !) comme visant les personnes morales constituées « en vue de partager les bénéfices ou de profiter des économies », une définition aujourd’hui dépassée « façon Milton Friedman » [6].

En effet, l’entreprise ne se réduit pas à un simple centre de profit ; il conviendrait de consacrer légalement son rôle économique, social et sociétal en prise directe avec son écosystème.

Sur ce point, la toute première préconisation du rapport « Pour une Economie Positive » du groupe de réflexion présidé par Jacques Attali propose précisément de modifier la définition légale de contrat de société donnée par le Code civil, « trop tournée vers l’intérêt de ses associés capitalistes » afin de prendre « en compte la mission sociale, environnementale et économique de l’entreprise » [7].

Voilà une piste intéressante et pourquoi pas un moyen indirect de renforcer la légitimité du mécénat d’entreprise qui prendrait naturellement place dans cette définition incarnant une démarche assumée, réfléchie et stratégique en phase avec nos enjeux sociétaux.

Nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur cette question d’un mécénat d’entreprise rénové et innovant.

Voir aussi :

Sondage exclusif FIDAL : Loi Aillagon – Que retenir des 10 ans du « dispositif mécénat » ?

Exclusivité : Suivi du projet de Loi Hamon sur l’Economie Sociale et Solidaire : les premiers enseignements pour les OSBL*

Dirigeant de fait, un point de vigilance pour les associations


1] Arrêté du 6 janvier 1989, JO du 31, p. 1448 NOR ECOZ8800041A

[2] Articles L.241-3, 4°(SARL) ; L.242-6, 3° et L.242-30 (SA) ; L.244-1 (SAS) du Code de Commerce

[3] Article 238 bis-1 du Code général des impôts

[4] Article 17 de la loi de finances pour 2000 (art. 17), complétant l’article 238 bis1 a dernier alinéa du CGI : « Ces dispositions [réductions d’IS de 60%] s’appliquent même si le nom de l’entreprise versante est associé aux opérations réalisées par ces organismes »

[5] Article 1832 du Code civil

[6] « Peu d’évolutions pourraient miner aussi profondément les fondations mêmes de notre société libre que l’acceptation par les dirigeants d’entreprise d’une responsabilité sociale autre que celle de faire le plus d’argent possible pour leurs actionnaires » (Milton Friedman – Capitalisme et Liberté, 1962)

[7] Rapport remis au Président de la République le 17 septembre 2013 et auquel a contribué S. GODLEWSKI pour FiDAL Secteur « Fondations, Mécénat & Entreprises » (Documentation Française / Fayard)

Ce contenu a été publié dans Revue de presse, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.